Maxime Coudour et Fanny Imber, metteur·e·s en scène de Littoral
Interview pour le livret de bord février-juin 2022
La parole à Maxime Coudour et Fanny Imber, metteur·e·s en scène de Littoral
En novembre 2020, le Fourneau vous a accueilli pour la première résidence de Littoral, premier temps de rencontre de l’équipe artistique et prise en main du texte. Que s’est-il passé pour vous depuis ?
Maxime Coudour : Oh il s’est passé tellement de choses. Nous avons tellement hâte de vous montrer ce chemin. C’est au Fourneau que nous avons tenté pour la toute première fois une lecture de la pièce en 3 parties dans 3 endroits différents du Centre National. C’était tellement frustrant de ne pas avoir pu le partager avec du public. Nous étions en plein 2ème confinement, nous n’avons pas vu grand-chose de la ville.
Fanny Imber : C’était une première tentative. Dès le début nous avons choisi de monter Littoral comme une série en trois étapes dans trois endroits de la ville. À la suite de la lecture, nous avons validé collectivement, que ça fonctionnait que nous allions dans la bonne direction. Lorsque nous sommes venu·e·s au Fourneau pour notre premier laboratoire de recherche nous avons travaillé essentiellement autour du premier épisode de notre trilogie. Nous y avions établi pour cette partie la nécessité d’un espace de jeu frontal. Au pied du mur, Wilfrid (qui est le personnage principal de notre pièce) apprend la mort de son père et dès lors les méandres de sa psyché et de son affect se déploient sous nos yeux. Là-dedans, nous avons exploré une mise en rue extrêmement ludique où le rythme y est effréné.
Maxime : Il faut savoir que Wajdi Mouawad, l’auteur de Littoral, n’a encore jamais été adapté en rue. C’est une grande première et une grosse pression pour nous. Nous avions donc besoin de prendre du temps pour imaginer comment cette pièce écrite pour la salle, pouvait s’inscrire dans l’espace public.Très rapidement avec Fanny nous y avons vu une évidence. Tant dans la forme du récit, se jouant des codes du 4eme mur ou avec l’imaginaire des personnages, que dans le fond de ce que raconte la pièce. C’est une quête épique… dans la rue nous avions tout le loisir de la déployer. La fin de ce premier « laboratoire » a forcément appelé à poursuivre la même méthode pour les deux autres épisodes.
Fanny : Au milieu de l’hiver nous sommes allé·e·s à l’Espace Périphérique dans Paris, explorer sur un disque de terre de 8 mètres de diamètre, l’âpreté de notre deuxième partie. Au cœur de la pièce se forment aussi l’espoir et le courage de la meute. La quête de Wilfrid y devient universelle. Nous en avons profité pour travailler spécifiquement le mouvement de notre groupe avec notre chorégraphe. Fin août, début septembre nous nous sommes attaqué·e·s à notre dernier épisode. L’enjeu y fut différent : nous avons cherché quelle poétisation de l’espace public nous voulions. Dans cette fin de spectacle, l’« enmerement » du père doit se déployer sous nos yeux comme une délivrance. Le ciel s’ouvre, la mer l’accueille et chacun·e y trouve un sens. C’est entre notre lieu de résidence, le STC à Charenton (94) et la route de 2R2C (Paris) que nous avons œuvré et trouver la magie de notre fin de spectacle.
Maxime : Une fois nos trois laboratoires traversés avec l’équipe des interprètes, nous avions avec nous énormément de pistes. Nous avons pu valider pas mal d’intuitions en les confrontant au plateau. C’est extrêmement joyeux d’avoir 8 interprètes qui avancent dans le même sens pour savoir comment transmettre au mieux cette histoire. C’est un récit très dense. Ce qui se raconte est parfois difficile, ça nous a tou·te·s remué·e·s, ça à évidement fait écho à notre propres histoires, nos propres questionnements. Nous avions besoin de ce temps pour traverser ça ensemble. C’est là-dedans que la notion de Collectif prend son sens. Certes nous sommes deux à la mise en scène mais nous avons creusé ensemble, nous nous sommes nourri·e·s et accompagné·e·s collectivement dans cette aventure. Nous étions mûr·e·s avec Fanny et Sophie Anselme (à la dramaturgie) pour impliquer le reste de l’équipe. Le créateur son (Vivien Lenon), le chorégraphe (Nans Martin), le scénographe (Benjamin Lebreton), la costumière (Fanny Veran), la graphiste (Eloise Héritier) et le constructeur et régisseur du spectacle (Neil Price). Toutes les pièces du puzzle ont commencé à s’emboiter.
Au total, c’est presque 20 personnes qui travaillent sur Littoral. C’est exactement ce que nous voulions depuis le début, c’est une aventure dont nous rêvions depuis longtemps. Se retrouver à nombreuses et nombreux autour d’une épopée qui dépasserait le temps de la représentation. La nouvelle crise sanitaire qui nous a tou·te·s stoppé·e·s dans nos élans, à plutôt confirmé cette envie et ce besoin. Le feu était toujours bien là et c’est le Fourneau qui a soufflé sur les braises en nous invitant à cette première résidence.
Fanny : Nous avons effectué à l’Atelier 231à Sotteville-lès-Rouen une résidence sur le travail sonore. Il s’agit toujours pour nous d’une recherche minutieuse car le choix de l’amplification ou de la diffusion de son n’est jamais utilisé comme un relais technique. C’est un choix dans nos mises en rue. Nous avons pour habitude de travailler à la voix seule, sans micro, et nous accompagnons pour la première fois la fiction par une musique extradiégétique (c’est-à-dire un son qui n’est pas présent dans le récit lui-même). Puisque nous travaillons sur une série théâtrale, un fil rouge sonore demeure : un générique de début et de fin qui s’inscrit directement dans la ligne des séries audiovisuelles. Le thème musical (et ses déclinaisons) de Littoral est une des pierres angulaires de notre spectacle. Fort·e·s des nouvelles arrivées que Maxime a citées juste avant, nous avons pu lancer une semaine dédiée à la construction de notre scénographie au Parapluie et nous avons éprouvé une traversée de nos trois épisodes sur notre deuxième semaine à Aurillac ainsi que durant deux semaines aux Ateliers Frappaz.
Maxime : Voilà où nous en sommes. Juste avant de revenir au Fourneau. Nous avons fait des laboratoires de recherches autour de nos trois parties, nous avons construit le décor, composé une bonne partie de la bande originale, et commencé à mettre en espaces les 3 épisodes. Dans quelques jours nous irons au Moulin Fondu en Ile de France pour créer les costumes de la pièce. Tous les ingrédients sont devant nous. Nous avons hâte de revenir face à la mer dans le port de Brest pour voir comment notre Littoral va accorder tous ces éléments.
Fanny : Le Collectif du Prélude a ainsi grossi ses rangs. Et Littoral peut s’épanouir grâce aux soutiens incroyables que nous rencontrons sur ce spectacle comme par exemple l’engagement de 6 Centres Nationaux des Arts de la Rue et de l’Espace Public à nos côtés.
Le texte originel de l’œuvre de Wajdi Mouawad traite de la guerre et ses atrocités avec des passages assez crus. Avez-vous dû censurer certains passages pour les oreilles les plus sensibles et jeunes ?
Fanny Imber : Il semble que le mot censure ne soit pas trop dans notre approche ! Mais faisons un petit détour avant de répondre. Adapter Littoral dans la rue c’est effectivement se poser d’autres questions que de le faire dans une salle avec un public averti et un contrôle total des spectateur·rices à l’entrée. C’est exactement pour se poser ces questions que nous œuvrons dans l’espace public et explorons les possibles de ce qui peut être vu et entendu. Et nous nous battons pour que beaucoup de choses puissent être entendues ! Travailler sur un spectacle avec un texte « littéraire » (ce que nous avons toujours fait jusqu’alors) et qui plus est, qui n’est pas écrit pour la rue, c’est prendre à bras le corps « comment » et « jusqu’où » l’on peut écouter dans l’espace public. Comment déployer la parole, comment trouver des relais d’attention, comment accueillir autant de verbe pendant longtemps, comment inclure toutes et tous selon les territoires, les moments de la journée, les âges, les sensibilités.
Maxime Coudour : Dans toutes nos pièces nous préparons le public avant que la pièce ne commence. Sans qu’il ne s’en rende compte, nous commençons à mettre en place des codes, une façon de parler, de donner les règles de l’interaction, … Si bien que lorsque la pièce commence, ce sas invisible rend bien plus évident l’entrée dans la pièce. Et très clairement, ce moment privilégié de rencontre avec le public, qui est cadré et écrit, laisse une large place à l’improvisation. Si nous voyons qu’il y’a de trop jeunes spectatrices ou spectateurs, nous prendrons le temps d’expliquer dans quoi ils/elles s’embarquent. Et après tout… c’est aussi le pouvoir de la rue. Si les choses sont trop difficiles, nous avons la liberté de partir très facilement. Et parfois, nous avons toutes et tous des limites très surprenantes. Nous avons hâte de voir les réactions du public. Pour le moment, nous avons fait 3 sorties de résidences et… personne n’est parti en hurlant. Au contraire même. Après chacune des présentations, personne ne semblait vouloir s’en aller tout de suite.
Fanny : Évidemment ici, notre aventure est colossale. C’est déjà pour cela que nous avons choisi de fragmenter notre fiction en 3. Trois épisodes et deux entre-actes. Cela permet de prendre du recul, de prendre un temps pour soi au besoin, pour accueillir ce qui vient de se passer et ce qui suivra.
Pour répondre spécifiquement à la question, il n’y a pas que l’expression de la violence de la guerre qui puisse être sensible. Il y a d’abord l’histoire de la mort d’un père. Wajdi Mouawad tout en traitant sérieusement la mort, manie l’humour, l’absurde, l’imaginaire, le fantasque pour accompagner la dure réalité. Ce premier déploiement autour de la mort constitue aussi une préparation pour la suite. Nous choisissons d’aller dans ce même sens et de ne pas accentuer le réalisme des situations. D’autre part, en jouant avec les niveaux de voix et le placement des interprètes tout ne sera pas entendu dans certains passages les plus crus. Nous choisissons également que ces moments les plus sensibles ne soient pas représentés par les corps en action. La violence, quand elle apparaît, reste majoritairement celles des mots.
Maxime : Nous avons parfaitement conscience de ce que nous donnons à voir dans l’espace public. De la proximité avec le public et de la superposition des images avec la réalité de la ville. Ce sont des questionnements que nous avons eu très rapidement, et nous avons une grande vigilance la dessus. Néanmoins, le texte est sublime et incroyable de complexité. Nous voulons le restituer dans sa plus grande majorité. Nous avons la certitude que tout va se résoudre dans ce que nous donnerons à voir et la façon dont nous donnerons à entendre le texte. Comme a pu le dire Fanny, l’écriture de Wajdi Mouawad est ingénieuse, drôle et émouvante. Je suis certain qu’à la sortie de Littoral le public ne se dira pas du tout qu’il a assisté à une pièce violente.
Fanny : Pour ce qui est des oreilles les plus jeunes, nous organisons en amont et en complicité avec les programmateurs et programmatrices, une prévention autour de l’âge recommandé pour ce spectacle (10 ans). Nous invitons à informer de la dureté de certains récits. Nous choisissons que seul.e.s, celles et ceux qui assistent au spectacle soient au courant du lieu du prochain épisode.
Maxime : Comme dans une série télé, au début de chaque épisode nous faisons un « previously on » un résumé des épisodes précédent. C’est une façon subtile pour nous de traverser cette aventure collectivement. De partager nos ressentis communs, notre mémoire de groupe. Comme dans la pièce, se dire que nous pouvons traverser ensemble des choses difficiles et les rendre joyeuses.
Cette pièce c’est une célébration. Nous célébrons ici la force du collectif, la résilience et la joie de trouver de la force dans le groupe. Se dire que nous ne sommes pas seul·e·s et que grâce à la parole nous pouvons rendre universelles beaucoup de nos histoires. Oui il y’a des moments difficiles, des passages sensibles. Mais tout cela n’est que du théâtre et nous allons jouer avec ses codes. Faire en sorte qu’on ne l’oublie jamais. Une phrase de la pièce résonne énormément en nous ces derniers temps :
« On a notre histoire. Un homme cherche un lieu où enterrer le corps de son père. Et à travers son histoire chacun racontera la sienne. Sur les places publiques nous irons et nous raconterons »
Fanny : Et justement, nous n’irons pas sur n’importe quelles places publiques. Nous choisissons les lieux les plus propices à notre représentation (spécifiquement pour le deuxième épisode) moins ouverts au monde.
Maxime : Un endroit où le public présent aura choisi de venir creuser avec nous plus loin dans l’histoire.
Répondre à cet article