La parole à Laure Terrier, chorégraphe
La parole à Laure Terrier, chorégraphe
Vous avez imaginé cette nouvelle création avec l’écrivain Antoine Mouton. Comment avez-vous collaboré ?
Laure Terrier Nous avons passé du temps ensemble à observer nos pratiques d’écritures, chorégraphique et textuelle, en relation avec ce qu’on nomme espace public. Le mot « travail » s’est imposé, tant il concerne chacun de nous, comme un point commun de ce collectif que nous formons. Nous avions le désir de nous appuyer sur ce mot, dans ce qu’il évoque en soi, émotionnellement, physiquement, dans l’imaginaire autant, et de lui apposer un possible désenclavement. Que se passe-t-il si on regarde le « travail », longuement, vraiment. Si l’on ne le vit plus par habitude, mais qu’on le re considère. On peut peut-être alors prendre un peu d’air, de distance. On peut ensuite, sans doute, déconstruire encore et s’émanciper. Aller son propre chemin, être plutôt que faire. Et alors, s’il on est, comment on relationne ensemble ? Sans aucun doute, autrement que dans le monde du « sans contact ».
Maintenant, nous fabriquons la pièce. Antoine a quasi terminé l’écriture d’un long poème, que je tisse avec les présences des danseurs et danseuses, avec l’espace public, et aussi avec les sons et la musique d’Anne-Julie Rollet. Et Antoine fait partie des danseurs diseurs. C’est joyeux.
Comment travaillez-vous la partition des corps dans l’espace public ?
LT J’ai des désirs chorégraphiques clairs, que je cherche à transmettre à l’équipe, en ateliers. C’est artisanal la danse. On a des intentions, des images, et on travaille la matière corps pour que l’image arrive, pour que la danse exprime ce qu’on pressentait. On fait ça. On travaille le corps et ses intentions (et c’est aussi émotionnel), avec différentes envies : comment on voit d’abord des gens, et qu’en ces gens, on sent/voit une chute, un lâcher, quelque chose qui arrête de tenir. Qui s’ouvre. À l’espace, à l’autre, à soi-même. Puis on cherche dans la danse des formes qui racontent comment on relationne entre humains civilisés et occidentaux, puis comment, en plaçant l’attention dans se sentir être, on pourrait relationner autrement, former des cabanes éphémères de liens, de contacts, de touchés, différents. Le jeu ici avec l’espace public, c’est partir de lui, de gestes et manière d’y être classiques, d’usages communs, pour porter attention à du petit, du délicat, du sensible. De l’organicité vulnérable.
Au-delà de la chorégraphie et du texte, Animal travail intègre aussi la création musicale d’Anne-Julie Rollet et une composition chantée de Marie Nachury. Comment s’articulent ces différentes pratiques artistiques ?
LT Ce sont des matières différentes et semblables. Il s’agit toujours de bouger l’espace et d’agiter les particules, pour en être touché et s’attendrir. Le travail d’Anne-Julie ici, c’est apporter un air cinématographique à la pièce, c’est aussi faire sonner les bruits du monde (elle utilise des enregistrements de situations musicales et sonores du quotidien) et ses voix (par l’usage concret de radios). C’est aussi distordre tout ce réel, ce connu, pour en faire de la matière sonore, qui aide à plonger dans le dedans du vivant. Les radios, ça rentre fort en résonnance avec la question de s’accorder les uns·es aux autres, avoir chacun·e sa propre fréquence, sonner de ça, ensemble. Marie Nachury a composé un chant complexe et sublime. Ce chant, c’est entendre l’intériorité des danseurs et danseuses, la voix, le souffle, et encore ici, comment ces voix, ces tonalités, sonnent ensemble, peuvent, momentanément, composer de leurs hauteurs et textures diverses, un chant commun, et qui touche à la beauté. Un petit bout d’utopie.
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