Ronan Le Tutour, régisseur général
Interview de juin 2020
La Parole à Ronan Le Tutour, régisseur général
Professionnel associé au Fourneau en 2020, Ronan Le Tutour est le régisseur général du festival Les Rias dont l’annulation a été confirmée le 6 mai 2020. Cet événement, regroupant près de 30 équipes artistiques sur 5 jours dans 10 communes du Pays de Quimperlé, rendez-vous incontournable de la saison estivale d’arts en espaces publics du Fourneau, devait se dérouler du 25 au 29 août 2020.
La situation des techniciens et chargés de production intermittents étant fragile du fait des fermetures des salles de spectacles et des annulations quasi-systématiques des grands événements estivaux, nous avons voulu mettre en lumière ces femmes et ces hommes qui rendent possibles, dans l’ombre, nos moments de partage en espace public.
Peux-tu nous expliquer en quoi consiste la fonction de régisseur général d’un festival comme Les Rias en temps normal ? Où en était la préparation du festival lors de l’interruption ?
La régie générale intervient dès les premières ébauches de programmation pour évaluer les moyens nécessaires à l’accueil d’un spectacle et de son public. Dans le cas du festival Les Rias, je démarre environ 8 mois avant le début de l’événement, accompagné de : Gwenn Brosse-Kovacs, Noémie Le Berre et Claude Coulloch. La régie générale d’un tel festival se fait en équipe. Cette première phase permet d’étudier la faisabilité technique et financière du projet en fonction des lieux pressentis (configuration, contraintes, avantages) et de planifier les étapes de travail.
Vient ensuite l’instruction du projet où il nous faut avancer de front sur 2 sujets. D’abord échanger avec les compagnies pour bien comprendre leur besoins afin de définir les moyens humains, techniques et logistiques nécessaires au bon déroulement des spectacles en adéquation avec le budget alloué. Et en parallèle, rencontrer les communes accueillant le festival (élus, responsables culturels et services technique) avec qui nous travaillons étroitement pendant toute l’instruction du projet. Nous nous appuyons notamment sur leurs connaissances de leur territoire pour valider les lieux de représentations et sur leurs ressources pour répondre aux besoins des compagnies.
Nous pouvons ensuite concevoir les plans d’implantation, définir les plannings de travail des équipes artistiques et techniques, prévoir l’accueil du public et entamer la réservation du matériel ainsi que les démarches administratives (dossiers, autorisations, déclarations, etc).
Nous pouvons ensuite concevoir les plans d’implantation, définir les plannings de travail des équipes artistiques et techniques, prévoir l’accueil du public et entamer la réservation du matériel ainsi que les démarches administratives (dossiers, autorisations, déclarations, etc.).
Lors de cette phase qui se déroule sur 6 mois, le rôle spécifique du régisseur général est de veiller au bon suivi des étapes du projet, définies en amont, et d’assurer le lien avec les autres services de l’organisation (administratif, production) ainsi qu’avec les partenaires (communes, institutions, prestataires, etc.).
La crise sanitaire nous a stoppé au cours de cette étape. Pendant les premières semaines de confinement, nous avons continué à travailler, jusqu’à fin avril. Nous avions déjà élaboré les premières versions des plannings, plans et budgets. Puis, l’évolution de la situation et les annonces gouvernementales nous ont imposé l’annulation de cette édition.
Aujourd’hui, nous aurions dû être à 1 mois et demi du festival, là où les choses s’accélèrent et se précisent : les plannings doivent être finalisés pour les transmettre aux compagnies, aux partenaires, les équipes doivent être constituées, les devis et budgets validés et les dossiers déposés.
Pendant ces dernières semaines de préparation, la coordination des services et des équipes est la mission principale du régisseur général. En effet, plus l’échéance se rapproche et plus il y a de personnes à participer à l’organisation. Mon rôle est donc de veiller à ce que le travail des uns s’accorde bien avec celui des autres...
Arrive enfin la période de montage et d’exploitation du festival à la fin du mois d’août. Les artistes et les équipes sont accueillies. Le festival est prêt à démarrer. Le public assiste aux spectacles.
A ce moment, il y a beaucoup de monde à œuvrer (200 à 250 personnes). Mon travail est normalement terminé ! Mais je continue bien-sûr à faire du lien, à coordonner les équipes et suivre la mise en place des spectacles et des dispositifs d’accueil du public. Les journées sont longues et denses !
Une fois le festival clôturé, il reste à finaliser la partie administrative (facturation, traitement des salaires, etc.) et à réaliser les bilans pour voir les améliorations à prévoir, ce qui a bien fonctionné et se projeter sur l’édition suivante.
Comment gère-t-on la régie générale d’un événement annulé comme Les Rias ?
Avant de prendre la décision d’annuler, il y a eu une longue période d’incertitudes étant donné la situation sanitaire inédite. Nous étions dans l’attente des consignes et des décisions gouvernementales. Pendant cette attente, nous avons eu beaucoup d’échanges au sein de l’équipe, mais aussi avec d’autres professionnels. Le suivi assidu de l’actualité a nourri tous les scenarii que nous imaginions pour la fin août. Tout cela a été très anxiogène, stressant et usant.
Pour ce qui est des Rias, une fois actée l’interdiction des rassemblements de plus de 5000 personnes, on a réfléchi à des alternatives d’organisation pour que cette édition puisse se dérouler malgré tout. On a pensé à modifier la programmation, les lieux, à prendre des mesures sanitaires contraignantes, à réduire les jauges et instaurer des contrôles ou encore demander aux artistes d’assurer plusieurs représentations dans la même journée. Mais après réflexion et concertation avec l’ensemble des parties, nous sommes tous tombés d’accord pour reporter cette édition.
Dès que la décision a été prise, et avant de l’officialiser publiquement, nous avons décidé d’en informer les équipes et de l’expliquer. Nous avons eu plusieurs retours de situations individuelles préoccupantes mais aussi des témoignages de solidarité.
Combien de techniciens devaient être embauchés et combien d’heures de travail cela représentait-il ?
Chaque année, Les Rias embauchent une soixantaine de techniciens pour un volume d’heures de travail d’environ 3000 h. A cela il faut ajouter tous les contrats des artistes (30 équipes), la trentaines d’agents de sécurité (900h) et la centaine de vacataires embauchés par Quimperlé Communauté (1600h) pour accueillir le public dans de bonnes conditions.
Sur quels projets travaillais-tu, en tant qu’intermittent « multi-employeurs », lors de l’annonce du confinement ? Sont-ils tous annulés ? Quelles sont les solutions trouvées par les différents organisateurs ?
Notre secteur d’activité est touché depuis le samedi 29 février : interdiction des rassemblements de plus de 5000 personnes sur toute la France. Et dans le Morbihan tous rassemblements ont été interdits dès le 1er mars. Je devais organiser 2 événements à cette période dans le secteur Lorientais qui ont été annulés : l’accueil de la tournée Messmer au Parc des Expositions du pays de Lorient, et le Salon nautique Navexpo au Port de Lorient-La Base, reporté en juin puis en octobre.
Viennent ensuite le confinement et la prolongation de l’interdiction des grands rassemblements jusqu’au 31 août sur l’ensemble du territoire. A partir de là, les annulations se succèdent : Fête de la Coquille à Quiberon, Fête du Port à Lorient, Les Pieds dans la Vase à Kervignac, Fête de la musique, Accueil de la tournée de Gad Elmaleh à Lorient, Festival des Vieilles Charrues, Les Jeudis du Port à Brest puis Les Rias...
Pour les événements de septembre ce n’est pas encore gagné : certains sont déjà annulés, d’autres attendent encore avant de prendre leur décision. En effet les organisations ont pris du retard. Mobiliser des bénévoles est très compliqué actuellement (peur de se réunir, reprise d’activité professionnelle pour la plupart, choix des périodes de congés limités, etc.). Et à cela s’ajoute la difficulté pour les partenaires financiers privés de tenir leur engagements. Et pour les salles de spectacles, accueillir 12 fois moins de personnes n’est absolument pas viable économiquement (avant : 3 pers/m² ; demain : 1 pers/4m² sans les recettes de la restauration et du bar).
Le secteur culturel et événementiel est durement touché et aucune date de reprise n’est encore envisagée. On espère tous accueillir du public en septembre ou octobre mais ce n’est pas du tout assuré. D’ici là, pour la plupart des équipes intermittentes, c’est au moins 4 mois assurés de chômage supplémentaire, en plus des 3 derniers mois passés. Sans compter sur le fait que la grande majorité de notre activité a lieu en été. La saison hivernale ne permettra donc pas à la plupart des techniciens et régisseurs du spectacle de reprendre une activité normale à la rentrée. La précarité sociale dans notre secteur d’activité risque de durer.
A quoi va ressembler ton été ?
A quelque chose d’étrange ! Avoir autant de temps-libre à cette période ne m’est pas arrivé depuis 15 ans ! Même si je n‘ai plus de festivals à organiser, je vais continuer à travailler : formations, mises à jour et développements de mes outils de travail, préparation des projets de la rentrée qui ne sont pas (encore) annulés. Et surtout réinventer l’accueil des publics de demain en prenant en compte les nouvelles règles sanitaires. Je reste en veille pour suivre ce qu’il se fait et s’écrit ici et là.
Avec quelques collègues Lorientais, on essaye actuellement de se réinventer pour organiser de nouveaux projets pour cet été (concerts-drives, petits rassemblements éphémères, etc). Mais ce n’est pas évident de trouver des partenaires, notamment financiers. Même si elles sont occupées à d’autres choses en cette période de déconfinement, les collectivités locales vont être déterminantes pour la reprise de notre activité.
Et puis, à titre personnel, je vais en profiter pour passer du temps avec ma famille, mes amis et prendre un temps de vacances.
Qu’est-ce que cette période provoque comme réflexions, changements, rebonds pour ton métier ?
En 2015, on a eu à imaginer et gérer l’après Bataclan, où l’on a développé de nouvelles compétences et process pour accueillir le public en sécurité, ça va être similaire avec l’après Covid. Il va nous falloir trouver des solutions pour permettre aux artistes de rencontrer les publics tout en permettant aux projets de trouver un équilibre financier. Pour l’instant je ne vois pas bien comment résoudre cette équation. J’ai l’impression que ça va être plus difficile que les contraintes vigipirate, mais, en chevauchant le tigre, on va trouver !
Pour ce qui est des conséquences positives et indirectes, je pense que c’est le bon moment de généraliser et d’ancrer le développement durable dans nos métiers et notre secteur d’activité, dès la conception des projets. Par ailleurs, l’organisation d’événements et de projets induit de nombreux déplacements pour rencontrer les divers acteurs, participer à des réunions, etc. Peut-être que cela va nous permettre de réduire notre impact carbone en privilégiant les visioconférences. De plus, pour beaucoup d’individus, cette période de confinement a été l’occasion de consommer local. On pourrait prolonger cette pratique dans nos choix de fournisseurs et de prestataires !
Quel est ton point de vue sur le plan du gouvernement pour les intermittents ? Permet-il de répondre aux besoins liées à cette crise ?
Honnêtement, je ne sais pas ! A ce jour, très peu d’intermittents ont pu bénéficier du chômage partiel, et il n’y a actuellement aucune concertation, ni aucune proposition de mesures concrètes. Pour la question de l’intermittence, nous demandons, entre autres choses, le renouvellement des droits au chômage alors que le Président évoque une simple prolongation. C’est très technique mais ce n’est pas du tout la même chose. Mais ce que l’on souhaite avant tout, c’est que nos organisations représentatives soient consultées, comme cela est prévu dans notre démocratie. Pour l’instant, il y a eu beaucoup d’annonces d’intentions et de chiffres (des millions voire des milliards d’euros) pour notre secteur, mais nous attendons tous de savoir comment cela va s’organiser concrètement.
Je voudrais terminer par rappeler que les professionnels du secteur du spectacle vivant ne se limitent pas du tout au salariat sous le statut de l’intermittence. Il y a en effet des salariés permanents, vacataires, intérimaires. D’autres statuts existent aussi, comme ceux des auteurs, auto-entrepreneurs, artisans, des entreprises. Pour certains ça va être encore plus difficile que pour d’autres si on n’est pas tous solidaires.
Quelques chiffres clés pour comprendre la situation
Combien avais-tu d’heures prévues en 2020 sur les différents projets sur lesquels tu travailles ? 1400h (de janvier à décembre).
Combien d’heures as-tu réellement pu effectuer ? 170h (de janvier à mars)
Combien d’heures as-tu perdu entre mars et septembre ? 599h, soit près de la moitié.
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