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Les interviews

Pierre Prévost, Interview

Dans la cuisine du Fourneau ...

Interview réalisé au cours de la résidence au Fourneau en Mars 2003

Quand et comment la Chorale est-elle passée du théâtre déambulatoire à un théâtre « posé » ?

Au départ on s’est retrouvé à faire du déambulatoire, mais on sentait que ce n’était pas vraiment adapté, on ne tournait pas beaucoup et on n’était pas à l’aise. Je me souviens d’Aurillac en 98, quand on avait chanté devant la boucherie, les gens n’avaient pas le temps de choper les codes, on évoluait alors comme le spectacle des Représentants. En été 99, la révélation est arrivée au Mans. Yves Glisiere, organisateur et fidèle de la première heure, nous avait fait un programme complètement insensé, en nous disant, voilà, à 14 heures vous êtes là, et puis à 14 heures 45 vous êtes là et puis … Le programme à la main, les spectateurs nous attendaient aux endroits indiqués. Tout d’un coup, on ne pouvait plus partir comme on le faisait, par politesse, il nous fallait enquiller des chansons, on en avait à l’époque 8 ou 9. On se faisait des petits spots de 25 minutes, et à chaque fois, putain de dieu comme ça marchait bien, il y avait un accueil ! La pluie arrivant, on s’est retrouvé à jouer dans une sorte de chapelle déchristianisée, sans symboles religieux, et on s’est tapé un fou rire d’un quart d’heure avec le public. A la fin on s’est tous retrouvé en se disant, y’a quand même quelque chose …

Premier filage, vendredi 7 mars

Le spectacle a évolué, et pour Jazz sous les Pommiers, à Coutances, et on est passé de 300 personnes à plus de 1000 le lendemain, les gens étaient éberlués, ce qu’ils voyaient était en total décalage avec le reste du festival …

La Chorale ne correspond pas vraiment aux envies que tu peux dégager avec Les Représentants …

La Chorale, c’est un autre travail parce que c’est quelque chose que je ne défends pas par ailleurs, c’est un univers naïf, on n’est pas sur du texte. C’est comme une deuxième jambe. On a une jambe textuelle, celle qui traite du texte en rue, de la manière de jouer, de la connivence et de l’humour, que je développe avec le théâtre déambulatoire. La deuxième jambe, la chorale, est une sorte d’ovni, qui n’est pas très originale en soi, il y a d’autres spectacles qui se basent sur le fait de l’amateurisme, du faux … Mais nous on n’est pas chanteur à la base, quatre comédiens ont travaillé le chant, le curé joue du violon, mais ce n’est pas grand chose, à force de travailler, on a avancé … Dans cette chorale, on est dans la naïveté, c’est un autre monde, que je développe aussi dans le théâtre déambulatoire, je ne suis donc pas si loin …

Elle te sert à quoi alors cette deuxième jambe ?

Quand tu arrives dans la rue, il faut réussir avec très peu de moyens à introduire un spectateur dans un autre univers, un autre imaginaire. La culture c’est ça, partager un imaginaire commun, un moment important. L’univers de la chorale a semblé dire beaucoup de choses aux gens que l’on croisait. Les gens qui font des chorales se reconnaissaient, et n’ayant pas participé à des chorales, on ne peut pas dire que ce soit une critique in fine. Cet univers complètement imaginaire touche vraiment, et en Bretagne, je te dis pas le bonheur qu’on a, il y a une connivence, voilà c’est ça, il y a une connivence sur un imaginaire commun.

On est barré sur ces deux jambes, sur le théâtre déambulatoire et la chorale, avec des envies et puis on espère bien que sur ces deux jambes on va pouvoir avancer loin …

Vous vous moquez des Chorales alors …

La naïveté je la développe, et j’en suis content. Tu vois, c’est quand tu ne prends pas l’autre pour un con, mais toi même tu … C’est la fonction du clown, tu ne te moques pas. Le Bouffon se moque de l’autre, le Clown se moque de lui-même. C’est la grande différence. Et là en l’occurrence, on est plus sur une fonction d’autodérision, c’est à dire que l’on se met en cause et puis après on délire la dessus.

Comment as-tu travaillé pour La Rave Paroissiale, le premier spectacle de la Chorale ?

J’ai seulement travaillé sur l’ univers, sur la conception des personnages, j’ai finalisé l’ordre, ce sont les comédiens qui ont tout apporté, en posant chacun leur touche, avec des forts moments d’affrontements, (lorsqu’on s’envoyait des vannes c’était souvent pas pour rire …). Avec ce travail on a appris la tolérance, ça fait maintenant 4 ans que l’on se côtoie assidûment si j’ose dire… Le type de boulot que l’on fait nécessite une complicité énorme, un comédien est une chose extrêmement sensible, comme un stradivarius, tu ne peux pas faire tout et n’importe quoi avec lui. On a travaillé ensuite La Chorale avec Aline Duclos, notre chargée de diffusion et en même temps metteuse en scène, elle nous l’a épuré, on a travaillé sur l’évolution, le rythme etc. ça nous a en quelque sorte vitrifié et fixé le spectacle.

ça fait maintenant 4 ans que l’on se côtoie assidûment si j’ose dire…

Quelle est l’évolution entre Les Représentants, Rave Paroissiale et Ainsi fut-il ?

Les Représentants, c’était un spectacle très dur, énervé et en même temps catalyseur. J’avais écrit ça sous Juppé, sous un coup de colère. A chaque énervement, je me demandais « je rentre dans un parti, ou je fais un spectacle ? ». C’est mon métier de faire des spectacles, je fais des spectacles. Sur la Chorale, je me suis dit y’en a marre, il faut introduire une touche d’optimisme, sans être bien évidemment tout à fait dupe. C’est résolument optimiste, c’est résolument de bonne volonté. Tu sais, ça me fait penser aux gens que tu croises dans les bleds, ils ont le monde, ils sont dans une espèce de bulle, mais comme il y a les médias, la télé, c’est une vision sous un tout petit angle et hyper protégée. La Chorale ce sont des gens qui n’y arrivent pas tout à fait mais qui sont pleins de bonne volonté. Ca me fait penser à une des vannes que j’avais écrit pour une femme de la chorale : elle voulait collecter des chapeaux pour lutter contre les insolations au Sahel… C’est ce côté complètement à côté que je veux continuer avec Ainsi Fut-il, évidemment. Mes autres sources d’inspiration pour la création sont les comédies musicales, l’incontournable Puy du Fou, et les mystères du Moyen âge avec cette manière un peu édifiante de parler et sur lesquels j’avais déjà travaillé en 1987.

La religion y est plus présente ?

Pour le premier spectacle, on s’était interdit de mentionner le moindre fait religieux, là en l’occurrence, on travaille sur l’histoire de notre saint local et on ne peut plus s’en empêcher, donc il y a des allusions. Et je trouve ça plutôt nécessaire avec ce qui se passe dans le monde. Quand les conflits d’intérêts avancent en se drapant sous des étendards religieux, il y a urgence à aborder cette question avec respect, tact, mais surtout recul. On sait que les croyances n’hésitent pas à se fabriquer les icônes dont elles ont besoin à chaque fois qu’elles en ont besoin. C’est une partie de l’histoire d’"Ainsi fut-il". Fulbert est un saint malgré lui, un héros de la conjoncture. Quelqu’un d’instrumentalisé, comme nous le sommes souvent. Croyant ou pas croyant - pour ma part je suis totalement mécréant - ça nous concerne ce genre de chose, et ça a déterminé notre histoire.

Quel est l’objet de votre résidence au Fourneau ?

Notre objectif c’est de construire la colonne vertébrale du spectacle, on additionne les vertèbres, sans vraiment se préoccuper de ciseler là ou là, ce qui importe c’est qu’à la fin de cette résidence, ça tienne debout …

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