François Chochon, architecte
Interview pour le livret de bord janvier-juin 2019
crédit photo : Atelier Joulin Chochon
François Chochon et David Joulin, de l’Atelier "Joulin Chochon" avec la collaboration de Guillaume Appriou, architecte co-traitant, ont été retenus pour bâtir Le Fourneau 3. aux Capucins, un équipement sur-mesure dédié aux arts de la rue et de l’espace public qui se situera en plein coeur de la ville de Brest, dans les Ateliers des Capucins, nouveau pôle culturel et de loisirs.
Quelle a été votre première impression en découvrant le site des Ateliers des Capuçins ?
Quand on arrive dans cet endroit, on est saisi par son immensité. C’est à la fois immense et habité. Il y plane une ambiguïté très étonnante, on se demande si on est dehors alors qu’on sait bien qu’on est dedans. C’est comme si Brest, qui est cette ville des vents, et il faut bien le dire des pluies - certes occasionnelles mais quand même - trouvait là une place publique, d’un type qui n’existe pas. C’est pourquoi, au moment où nous sommes amenés à y réfléchir véritablement, invités maintenant, à y réaliser quelque chose pour bientôt, nous nous sentons très fortement appartenir à un projet citoyen d’ampleur exceptionnelle, devenus co-dépositaires de la réussite d’un objet urbain non répertorié.
On pourrait presque dire que votre premier métier c’était artiste de rue… quel est votre regard sur l’évolution des Arts de la rue ?
Oui, c’est sympathique de me dire cela, mais non, ça n’a pas été mon métier. Ce qui est vrai, c’est que dans le temps long des études d’architecture (les années 79, 80, 81), j’ai oeuvré dans ce qui était un art émergent à l’époque, les arts de la rue. Je pense qu’on peut dire que c’était vraiment le début en France, le Puit aux images, de Christian Taguet, La Falaise des fous, de Michel Crespin, Le Cirque du docteur Paradis, etc., toute cette tradition-là. J’étais musicien et j’ai participé à pas mal de spectacles… La vie m’a ensuite éloigné de ce monde, et quand plusieurs années après, nous avons eu la chance, avec David Joulin, de réaliser le Boulon, le CNAR de Vieux Condé, ça m’a replongé dans ce monde-là. J’ai réalisé à ce moment combien il était en bonne santé, avec des tas de gens très fins, proposant, pour tous, des offres de très bonne qualité. Et on peut se demander d’ailleurs comment c’est possible, comment ces gens-là acceptent de vivre aujourd’hui des modèles économiques pareils… pour être tout simplement généreux, dans leur capacité de questionner l’espace public d’aujourd’hui ! Ne pas oublier qu’il y a des gens généreux, et donc travailler pour ces gens-là, c’est pour nous une motivation, disons, bien particulière.
Imaginer un lieu pour des arts en espace public, c’est un peu une contradiction… Comment un architecte peut-il imaginer un lieu sans en conditionner les usages, faire du futur Fourneau un lieu en constante évolution ?
C’est une grande « tarte à la crème » la question des conditionnements des usages et des pratiques qui pourrait conduire à penser que l’architecte est quelqu’un qui impose quelque chose. Mais la polyvalence est une pensée technocrate, on sait que ça ne marche pas. C’est le propre de la ville d’être déterminée par les choix que sont les bâtiments, les équipements, les parcs... L’espace public c’est ce qui reste entre tout ça. Et le vide que cela génère, c’est précisément ça, l’espace de liberté. Vouloir faire un outil à la liberté, c’est un outil mort. L’histoire du XXe siècle le prouve, tous les espaces dont on a dit qu’ils étaient polyvalents sont morts avant d’avoir porté une ferveur quelconque.
Quels sont les axes forts de votre projet architectural pour le futur Fourneau ?
J’ai tendance à dire qu’il n’y en a pas. Ce n’est pas un projet avec des principes, c’est un projet « serpent » qui cherche à réveiller les choses en latence, à faire émerger des possibles à des endroits où on pense que « ça peut le faire ». Par exemple, prenons la grande nef en pierre. Le travail mené par Patrick Rubin pour la médiathèque est fort, il habite le lieu de très belle manière. Nous nous sommes placés dans cette même ligne, c’est-à-dire : la grande nef est belle, longue, elle porte une mémoire et en même temps elle sait accueillir de beaux objets d’aujourd’hui. Une fois que ces objets sont là, comme je le disais à propos de la ville, il en résulte des espacements, des interstices qui, ici et là deviennent des lieux d’accroche de vie. D’un tout autre type d’approche, nous avons été sensibles à la manière dont le soleil se manifesterait à cet endroit. Il suffit de regarder un peu pour voir qu’il y a un endroit qui est finalement porteur de la joie et la chaleur du soleil dans un segment de la journée assez important. Alors, d’un espace initialement dévolu à la seule fonction de dégagement de sécurité, nous avons fait une cour ensoleillée, la nouvelle « cour du Fourneau » en quelque sorte. Au final, notre ambition c’est d’être des gens qui favorisent l’émergence d’une vie singulièrement authentique, mais souvent il suffit de dire qu’on « instaure » une vie pour que ça ne marche pas, alors, dans notre cuisine secrète, on essaie à notre manière, d’augmenter les chances que ça arrive…
Brest le 11 décembre 2018
Répondre à cet article