Bundren ! est un spectacle librement inspiré du roman Tandis que j’agonise de William Faulkner. Pourquoi avoir choisi cette œuvre et comment l’avez-vous adaptée pour créer un spectacle en espace public ?

Charlotte Déniel et Loïc Le Manac’h : La lecture de Tandis que j’agonise a été pour nous un véritable choc littéraire, cette farce épique et brutale qui écrase toutes les convenances sur son passage et laisse le lecteur à la fin du roman avec un sourire noir et abasourdi. Rapidement, dans ce road-trip funéraire et tragi-comique, j’ai vu tous les ingrédients nécessaires pour convier un public à une véritable épopée théâtrale, à explorer les mystères et la complexité des rapports humains.

Pour le travail d’adaptation, nous avons d’abord sélectionné les espaces, les principales arènes nécessaires au développement de l’intrigue. Ce choix des espaces nous a permis de choisir les situations, les dialogues et les personnages qui nous semblaient propice à une dramaturgie théâtrale. L’enjeu central pour nous a toujours été de rendre compréhensible et accessible cette narration si particulière dans la temporalité d’un spectacle. Notre travail d’adaptation continue désormais d’évoluer à chaque nouveau territoire où nous projetons de jouer.

Vous définissez Bundren  ! comme un road-trip rocambolesque et pathétique, un voyage funeste et tragi-comique. Expliquez-nous cet antagonisme ?

CD et LM À la lecture du roman, on oscille constamment entre le rire et les larmes, entre la noirceur de l’intrigue et les situations pathétiques que traverse la famille Bundren, le tout porté par des personnages hauts en couleurs. C’est ce que nous cherchons à retranscrire avec notre adaptation théâtrale. William Faulkner s’amusait à définir son roman comme « une tragédie de seconde main », c’est-à-dire une tragédie qui ne se passe pas comme elle devrait se passer au sens antique, mais où l’on tombe de Charybde en Scylla en suivant non pas des héros mythologiques mais des paysans pauvres. Le glorieux y cède la place au dérisoire et le sacré au profane de l’existence. Les protagonistes se retrouvent confrontés à des situations profondément ancrées dans le réel et affrontent sans cesse leurs propres limites.

Bundren  ! propose une expérience théâtrale hors norme de près de 5h (avec entracte). Ce format singulier intègre plusieurs actes illustrés par des sites de jeu et des scénographies différentes intégrant une bande son live qui accompagne cette fresque. Dans ce format original, comment avez-vous pensé la place du public ?

CD et LM Tandis que j’agonise nous raconte un voyage. Une longue marche où le lecteur semble constamment derrière eux, en empathie avec chacun des membres de la famille Bundren. C’est ainsi que j’ai pensé l’expérience du spectateur. La puissance littéraire de l’œuvre réside pour moi dans cette proximité entre lecteur et personnage qui fait du roman une aventure qui se vit. Il faut donc que ce soit aussi le cas du spectacle : que cela ne soit pas seulement un « regard » que le spectateur pose mais aussi une expérience qu’il traverse, une immersion aussi totale que possible. Nous avons donc pensé à découper le roman entre des moments où le spectateur est assis et des moments de marche afin qu’il ressente physiquement cette traversée épique et dérisoire.