Baptiste Faivre et Césaire Chatelain de la compagnie Les Urbaindigènes
Interview de juin 2020
crédit photo - Vincent Vanhecke
La compagnie francomtoise Les Urbaindigènes, en pleine création de Chantier ! La tournée du coq devait venir en résidence à Brest en mars 2020 pour expérimenter dans l’espace public avec la contribution d’un minimum d’une centaine de brestois son « chantier participatif théâtralisé ». Il en a été tout autrement.
Cette résidence n’aura finalement pas lieu à Brest, mais Le Fourneau apporte à la compagnie le soutien en coproduction prévue pour lui permettre de travailler dans son propre lieu à Salins-les-Bains.
En raison de la forme de sa nouvelle création, fondamentalement participative et collective, et du calendrier de sortie de celle-ci (la première du spectacle était prévue le 5 juin à Joué-les-Tours), il nous est apparu intéressant de recueillir la parole de cette équipe artistique.
Comment avez-vous vécu l’annonce du confinement et cette période de confinement ? Avez-vous pu continuer à travailler sur la création malgré l’impossibilité de vous rendre dans les lieux qui devaient vous accueillir en résidence ?
Nous étions prêts à prendre la route pour Brest lorsque le confinement a été annoncé. On a donc reçu cette annonce assez mal. Nous étions lancés dans une bonne dynamique de création, prêts à finaliser notre écriture.
Pendant le confinement je crois que nous sommes plusieurs de l’équipe à avoir vécu différentes phases. Entre frustration de ne pas pouvoir avancer, et la chance aussi de pouvoir laisser reposer.
Nous deux, nous avons assez mal vécu cette période, par crainte de perdre la motivation que nous avions réussi à développer autour de ce spectacle. Notre sujet fait beaucoup parler, et pas que les gens du milieu du spectacle, les autres aussi et c’est très excitant.
Ce fut une période difficile par crainte également de voir notre profession se déliter. Ce virus semble incompatible avec le spectacle vivant. Nous avons essayé de travailler tous ensemble derrière nos écrans d’ordinateur, mais le spectacle vivant porte bien son nom, ça n’a pas marché.
Qu’est-ce que cette crise sanitaire provoque pour l’activité de votre compagnie, au niveau de la création de Chantier ! La tournée du coq, puis de sa diffusion ?
Elle provoque du retard, et un manque crucial de lisibilité. Pendant le confinement, chaque début de semaine nous devions reporter les reports que nous avions mis en place la semaine passée. Et chaque semaine aussi nous apprenions l’annulation d’une nouvelle date ou d’un énième festival de saison. Toutes les représentations de Chantier ! et aussi de l’Affaire suit son cours ont été annulées.
Nous comptons à ce jour sur le report du festival de Mulhouse qui devrait avoir lieu en octobre 2020 pour réaliser la seule représentation de l’année de notre nouvelle création.
Le théâtre de rue en général mais cette création-là tout particulièrement nécessite la proximité et le lien avec et entre les spectateurs puisqu’il s’agit de « faire ensemble » au travers d’un chantier théâtralisé. Quelles réflexions provoquent au sein de votre compagnie les contraintes sanitaires qui s’imposent aujourd’hui et risquent de perdurer un certain temps ?
Nous en avons parlé effectivement avec l’équipe artistique. Dans nos spectacles, notre point de départ est réel, disons que la situation donnée pourrait exister si ce n’était pas un spectacle. Et le public est toujours placé dans un temps présent. On procède ainsi pour interagir avec les spectateurs le plus simplement possible.
On s’est donc posé la question de savoir s’il fallait prendre en compte toute cette crise sanitaire dans l’historique de nos personnages. Nous avons pris la décision de le faire mais avec nuances, la crise sanitaire pourra avoir eu des impacts sur nos personnages mais ça ne sera pas un élément dramaturgique à part entière. Il faudra donc bien équilibrer les allusions et références à cette période bien particulière, sans en faire trop car on est aussi au bord de l’overdose, là ! Cette crise on a besoin de l’oublier un peu, de la mettre de côté en tout cas.
Il n’y aura donc pas d’adaptation de votre dramaturgie ou de votre manière de faire du théâtre de rue ?
Le faire-ensemble, la collaboration sont des fondements solides de notre espèce. Même si ce n’est pas toujours facile de s’entendre lorsque nous sommes nombreux ! Et le virus, les gestes barrières, sont à l’opposé de ces principes. Il est donc impossible et inconcevable pour nous de modifier notre dramaturgie. Ça irait à l’encontre de ce qu’on défend dans ce spectacle.
Nous avons construit ce spectacle pour qu’il soit très interactif, avec beaucoup de participation du public. Le but étant que les gens ressentent davantage la sensation d’accomplissement de soi par le faire et le travail collectif, en participant directement à l’action !
Cela va aussi à l’encontre de notre manière d’appréhender le spectacle de rue. Tout se joue sur la proximité avec les spectateurs. Il persiste donc une certaine incompatibilité avec notre manière de concevoir le spectacle de rue. Nous sommes juste prêts à fournir des gants et des masques pour les actions collectives de levage sur Chantier ! La tournée du coq.
En revanche, cette période particulière nous a montré encore une fois que c’est lorsque nous sommes en crise, et que nous avons un ennemi commun, que nous collaborons le plus. Et ça, c’est très intéressant pour notre écriture et notre dramaturgie.
Cette période chaotique fait-elle naître de nouveaux projets ? À quoi va ressembler votre été 2020 ?
Oui, des nouveaux projets naissent avec d’autres compagnies francomtoises. On a réalisé ensemble début juin un acte poétique dans la rue à Besançon, pour la beauté du geste artistique avant tout, mais aussi pour se réapproprier l’espace public et dire que nous sommes toujours là, les artistes et techniciens du spectacle vivant. (Voir la vidéo de "Enterrer les morts, réveiller les vivants")
La conjuration des jardins - crédit Christophe Monterlos
La conjuration des jardins - crédit Jean Marc Balanche
D’autres projets sont aujourd’hui en cours au sein de ce collectif que nous avons formé : « La Conjuration des Jardins ».
Au sein des Urbaindigènes, pour l’instant, notre projet premier est de finir Chantier ! La tournée du coq cet été. Du moins, finir son montage technique, son écriture et boucler notre dramaturgie.
Nous avons aussi notre festival à organiser en septembre à Salins-les-Bains. Nous nous battons encore aujourd’hui pour le maintenir avec tous nos partenaires et les fameux gestes barrières. On essaie de réinventer la convivialité, c’est pas facile, mais tout ceci nous apportera peut-être de nouvelles idées pour cet hiver pour d’autres projets !
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