Atelier croisé photographie et musique à la maison d’arrêt
Avec Nicolas Hergoualc’h et Vincent Raude, novembre 2016
Du 14 au 18 novembre 2016, le photographe Nicolas Hergoualc’h et le musicien Vincent Raude ont mené un atelier croisé à la Maison d’arrêt de l’Hermitage, sur un projet initié par la Carène et Le Fourneau.
Voici le récit de Nicolas Hergoualc’h.
Je rencontre en début de semaine Etienne, Mathilde, Paul, Noa, Charlotte, Julien, Hélèna, Jean-Pierre et Christopher* dans la salle de spectacle de la maison d’arrêt, où nous échangeons sur la photographie en prenant un café, et sur le travail que je souhaite les faire mener sur cet atelier.
Il s’agit d’un groupe mixte, avec des détenus pour certains habitués des propositions culturelles et artistique proposées en maison d’arrêt. La mixité n’est pourtant pas courante dans ce type d’atelier.
Je n’ai pas d’objectifs précis pour cet atelier, volontairement. D’une part car je ne connais pas encore toutes les possibilités ou interdictions du lieu, et d’autre part car c’est l’interaction avec les détenus et l’atelier de Vincent qui va créer une forme.
Je souhaite leur apporter un média et une technique pour qu’ils s’en emparent et photographient leur lieu de détention. Je choisi de leur apporter la technique du sténopé, que j’utilise beaucoup dans mes interventions pédagogiques, car elle fait sens particulièrement pour moi dans ce cadre. Il s’agit d’une technique primitive de photographie, à partir d’un boitier photographique auto construit. Les images ne respectent pas les lois, celles de la perspective, et génère du flou, du grain. Dans le cadre de cet atelier, je veux que les détenus puissent marquer leur présence dans le lieu, être présent sur les images. Un portrait net et bien défini, un cadre pénitentiaire avec ses détails enregistrés, sont des images qui ne passeront pas la censure de l’administration pénitentiaire, je le sais d’avance. Espérant que ce travail puisse sortir à l’extérieur de la maison d’arrêt, cette technique du sténopé est donc pour moi la seule possible, car je ne veux pas que les détenus soient contraints à ne photographier que leur dos ou leur visage caché, ou de simples détails hors contexte. Je veux qu’ils puissent être présent tels qu’il le souhaite sur les images, en espérant que le flou et le grain balancent l’image dans une sorte d’anonymat.
Après une initiation à la mesure de la lumière et au maniement des boitiers constitués d’un film noir et blanc logé dans une boite d’allumette et emballé de scotch noir, permettant 50 vues, nous parcourons différents lieux de passages et lieux communs que l’administration a bien voulu nous ouvrir. Les stagiaires s’emparent très rapidement de l’outil. Je leur explique les particularités du média concernant les temps de pose, la profondeur de champ, et par extension la manière de s’emparer de ces contraintes pour les exploiter.
La fin de la journée approche et je leur demande de conserver l’appareil avec eux pour des prises de vue dans leur cellule ou dans d’autres lieux auxquels nous n’avons pas eu accès. Même si ceci a généré quelques petits conflits entre certains détenus et les gardiens qui n’étaient pas forcément au courant, la chose a pu se faire.
Le lendemain, Vincent est présent pour commencer son atelier, alterné avec le mien. Nous évoluons tous ensemble sur les lieux de détention, où les stagiaires effectuent des prises de son et terminent l’exposition de leur film photographique.
L’après midi est consacré au développement des films, mis en cuve et développés par les stagiaires, par des allers retours entre les sanitaires occultés et la salle de spectacle.
Je rentre chez moi pour numériser l’ensemble du travail et leur présenter les rushs le lendemain. Je prends une claque devant mon ordinateur en voyant la matière collectée. Au-delà du grain, du flou, d’erreurs inévitables de manipulation, je vois une présence très forte des stagiaires dans leurs images, un vrai investissement et une histoire. Une histoire sombre et tourmentée, sans doute accentuée par le média, mais une vraie cohérence.
Après une projection des images, Vincent prend la main sur l’atelier, pendant que j’effectue des repérages pour une mise en espace. Les stagiaires font le tri dans toute la matière, près de 200 images produites, pour en dégager les images fortes qui seront sélectionnées pour la mise en espace dans la maison d’arrêt.
Le 5 décembre, nous nous retrouvons pour un photo concert dans la salle de spectacle, où les images sont projetées pendant que les stagiaires travaillent en live la matière sonore collectée avec Vincent. 20 photographies grand formats sont accrochées dans la rue, le long couloir principal de la maison d’arrêt. Ces images ne résisteront pas longtemps, mais c’est le jeu..
C’est une expérience pédagogique et humaine qui restera très forte pour moi. Par l’investissement très fort des participants, l’échange que nous avons eu spontanément avec Vincent sans nous connaître et avoir travaillé ensemble avant ça, et par la matière très riche qui est sortie de cette expérience.
Que ce travail ait maintenant une vie en dehors de la maison d’arrêt !
Le live de cette aventure humaine et artistique sera présenté par Vincent Raude vendredi 23 juin à 18h30 à l’Auditorium de la Médiathèque François Mitterrand - Les Capucins, en partenariat avec la DRAC Bretagne et le SPIP 29. Entrée libre.
L’exposition des sténopés est visible du 20 juin au 29 juillet 2017 dans la haute galerie de la Médiathèque François Mitterrand - Les Capucins.
*Les prénoms ont été changés.
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