BRÈCHES, À L’ÉPREUVE DU REBOND
La compagnie AlixM à Caulnes
Vendredi 16 octobre 2020, la classe de seconde Générale et Technologique, dans le cadre du module d’EATDD Ecologie Agronomie Territoire Développement Durable, du lycée agricole de Caulnes a accueilli la compagnie limousine AlixM, représentée par Alix Montheil, directeur artistique, auteur et comédien et Benoît Pleuzen Morvan, comédien breton attaché à la compagnie depuis 2009.
La compagnie travaillera avec cette classe complice autour de sa future création Brèches ou faute de révolution nous appuierons sur la ville tout au long de l’année scolaire 2020-2021.
Les enjeux de cette première journée d’échanges au sein du lycée sont pluriels.
– Pour les artistes, il s’agit de découvrir les espaces du lycée mais avant tout d’aller à la rencontre de ceux qui le traversent, y vivent et y travaillent.
– Pour Erwan Bariou, enseignant d’éducation socioculturelle au lycée, le plus important ce matin est de capter le sens du projet avec ses élèves, d’en intégrer les subtilités mais aussi les évidences.
"Que fait-on ici avec ces gens ?
Que racontent-ils ?
Pourquoi ?
C’est quoi l’art vivant au juste ?
Et au fait, à quoi ça sert ?"
Après une nuit mouvementée à l’internat des garçons, Alix retrouve Benoît, l’équipe du Fourneau, Erwan Bariou et les élèves pour la première fois en présentiel dans le foyer du lycée.
Le plaisir de se voir « en vrai », enfin, est palpable. Après des mois à écrire ce projet sur mesure en visioconférence, il fait bon de partager le jus de pomme du verger du lycée et un kouign aman de Douarnenez tous ensemble. Aujourd’hui derrière les masques, les sourires sont visibles.
Les jeunes présentent rapidement le programme de la matinée : ils ont organisé une visite spéciale du lycée pour Alix et Benoît traversant le foyer, le verger, la cour, la cantine et l’exploitation agricole.
Le verger offre un écrin de verdure privilégié au groupe pour échanger.
Autant d’occasions de présenter les espaces qu’ils parcourent quotidiennement que de poser des questions aux artistes.
Les élèves entrent vite dans le vif du sujet : « quel type d’art faites-vous ? Pourquoi avez-vous choisi l’espace public ?"
Alix raconte à l’assemblée une partie de son parcours : il a grandi en Limousin où il a choisi d’implanter sa compagnie de théâtre de rue après avoir tenté une carrière infructueuse en tant qu’infirmier. « Je pratiquais le théâtre en amateur et souhaitais en faire mon métier, mais ma famille ne partageait pas mon intérêt pour le théâtre. (…) A l’hôpital on m’a gentiment remercié en me disant que je n’étais pas à ma place. Et c’était vrai ! » C’est suite à cette expérience, qu’il décide de poursuivre des études de théâtre à l’école nationale supérieure de Paris, où il rencontre Benoît, puis à Marseille en suivant la formation itinérante des arts de la rue (FAI-AR).
Alix explique aux élèves comment le théâtre permet de partager des idées, de détourner le quotidien par la fiction pour parler de ses réalités. (…) « Si tu décides de faire du jardinage dans ton jardin à la vue de tous tes voisins avec un costume de clown, qu’est-ce que cela raconte ? En décalant tes habitudes, tu réinterroges l’acte de jardiner, tu suscites des questionnements » (…) L’art permet la liberté d’expression, le décalage. La rue permet d’être au plus proche des gens. (…) « garder un pied dans la porte avec une expression libertaire de grand dehors avant que l’étau autoritaire ne referme nos cris salvateurs. » exprime-t-il dans son manifeste. Plus que de faire la révolution, Alix explique aux lycéens qu’il s’agit ici de la questionner, de comprendre ce qu’on en attend ? Quel impacte un texte déclamé dans l’espace public peut-il avoir sur son environnement ? Crée t-il une brèche ?
Qu’est-ce qu’une brèche ? « Une brèche génère un mouvement qui déstabilise. (…) Les fissures sur le mur du bâtiment viennent probablement d’un déséquilibre du sol. Si on ne s’occupe pas de ses fissures, qu’on ne les remplit pas de quelque chose le bâtiment s’effondrera sûrement. Les brèches sont partout, sur le sol, les murs, et dans nos vies individuelles et collectives.(…) D’une brèche dans le sol peut aussi naître mille et une nouvelles choses, comme la vie nait de la violence d’un bourgeon qui éclos. » explique Alix.
Des questionnements que le groupe prendra le temps d’explorer tout au long de l’année.
En pédagogue hors pair, Erwan demande aux élèves de reformuler ce qu’ils ont intégré des réponses d’Alix après chaque question. Ce processus permet une écoute réciproque passionnante et permet à chacun de prendre du recul sur les mots qu’il choisit d’employer.
"Une brèche, c’est garder conscience" déduisent les élèves de cet échange.
À l’arrivée du groupe dans le self, un élève prend la parole :
« Ici à la cantine, il y a une attention particulière à ce qui est servi. Les aliments viennent de l’agriculture raisonnée, locale et bio, enfin la plupart. Dans un lycée agricole c’est important ce que l’on mange.
Et vous ? Qu’avez-vous l’habitude de manger ? »
Benoît raconte au groupe qu’il est autonome en légumes la majeure partie de l’année grâce à un potager qu’il aime travailler. Il pêche à la ligne et pratique la chasse sous-marine ce qui lui permet de ne jamais acheter de poisson dans le commerce. Cependant il se questionne sur le fait de tuer sa proie chaque fois qu’il pointe son harpon. Il explique aux élèves qu’il a vécu dans une ferme où son père élevait des volailles en agriculture intensive. Le recul qu’il a aujourd’hui sur son alimentation lui fait se demander pourquoi avant on se posait moins la question de la qualité de vie de l’animal, de ce qu’il mangeait ?
Le groupe termine la visite du lycée par l’exploitation agricole. Deux lycéens quittent leurs travaux pratiques pour nous expliquer ce sur quoi ils travaillent.
"Aujourd’hui nous étudions le feuillet, une partie de l’estomac des vaches !". L’exploitation agricole fait partie intégrante du lycée. En effet, en 2018, nous avions déjà eu l’occasion d’en apprendre plus sur l’histoire de cette ferme et celle du lycée à travers le projet artistique : Chaô avec la compagnie Les Ribines..
De retour dans la salle de classe, les élèves font le point sur ce qu’ils retiennent de cette matinée et sur ce qu’ils aimeraient développer en une phrase :
" Les gens de notre génération perdent un peu de leur imaginaire.
Ce projet a peut-être pour but de changer les mentalités et de développer notre imaginaire."
Alix et Benoît profitent du peu de temps restant pour dévoiler quelques accessoires du spectacle en devenir.
Une tronçonneuse Damoclès au-dessus de la tête d’Alix M.
Une fausse caméra de sécurité, un élément de décors qu’Alix aime utiliser dans ses créations.
Cette pelle pourra-t-elle toujours remplir sa fonction de pelle ?
Artistes et élèves seront amenés à questionner ensemble de manière sensible et poétique les enjeux sociétaux actuels tout au long de l’année scolaire et ça commence fort !
Rendez-vous en décembre 2020 pour explorer cette nouvelle brèche artistique au lycée de Caulnes.
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