"Bundren !" par les Collectifs Tranx et CCC
Les carnets de la Chimère #3
Frétillant d’impatience je remonte le Mississipi-Dourdu, fleuve principal de la région, pour rejoindre une assemblée devant la ferme d’une famille de paysans, les Bundren. Mon regard s’attarde alors sur une femme presqu’inerte observant son fils occupé à construire un cercueil, à grand fracas de scie et de marteau.
C’est Addie Bundren. Elle est à l’agonie. Anse, le mari, attend sa fin sur la terrasse en se balançant dans son rocking-chair. Il a promis à Addie de l’enterrer parmi les siens dans le cimetière de Jefferson, loin de la ferme.
Une fois la mère décédée, Anse, décidé de respecter sa parole, nous propose de suivre les membres de la famille dans ce chemin de croix jusqu’à la tombe, un voyage qu’ils feront en charrette, avec le cercueil et la mère bringuebalant à l’arrière.
Un périple qui ne se passera pas sans mal ni sans dommages ! Lors de la déambulation, la famille nous demande de les aider à pousser sur l’engin lors des passages délicats dans la forêt et j’ai la grande joie de plonger avec les fils pour rechercher les outils de Cash tombés dans le Dourdu lors d’une tragique traversée de rivière.
Au fur et à à mesure de notre aventure, les personnages se dévoilent et m’interpellent sur la nature humaine : Le fils aîné, Cash qui se casse la jambe pendant le voyage est le plus rationnel et réaliste de la fratrie. Darl, le second fils, héros sensible et objectif, sera cependant conduit en hôpital psychiatrique. Jewel, le troisième, un écorché vif, hésite à déserter le groupe, surtout après que Anse ait vendu sa moto adorée.
Le quatrième enfant est une jeune fille, Dewey, qui, enceinte, cherche surtout à se rendre à Jefferson pour un avortement. Le dernier membre de la famille est Vardaman, une jeune qui se distingue par sa poésie bien particulière, celle propre à l’enfance.
Les autres personnages, Vernon et Cora Tull, le docteur, le révérend, traversent également cette épopée tragique lors de scènes du plus haut comique. Cependant, ni eux-mêmes, ni la famille Brunden dans sa profonde misère matérielle et morale, ni les événements racontés n’incitent a priori au rire !
La musique adoucit l’aspect funèbre de notre pérégrination : Du blues, du gospel et du free jazz ponctuent la marche. A la fois sublime et délicieusement dissonante, elle ravie mes ouïes.
L’étrangeté de Darl, les colères sourdes de Jewel, la conduite équivoque d’Addie par le passé, l’entêtement d’Anse, la recherche obstinée de Dewel pour sauver son apparence, les principes religieux de Cora, Varnaman et sa perception brute de la nature, les chants de Vernon.... Je me demande si les participants de cette épopée funéraire ne sont pas tous fous ! Parce que la raison, la culture, le savoir, le plaisir, le bonheur, tout ce qui protège les hommes de l’égarement, sont radicalement étrangers à ces gens !
Il est déjà presque 22 heures et le convoi arrive enfin à Jefferson. Je suis épuisée, ravie malgré tout de voir qu’au milieu des réflexions crues, terre à terre des personnages, surgissent parfois des élans poétiques ou des éclairs de lucidité.
Rassurée, il est temps que je rejoigne mon élément marin.
A très vite
Chimèrement vôtre
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